Towadako, le 16 septembre 2017.
Assis dans un café, j’observe le calme autour de l’embarcadère de Towadako, avec l’impression étrange d’avoir fait un voyage dans le passé.
Le vent de septembre balaie les feuilles des arbres qui n’ont pas encore jauni, et la surface du lac qui scintille timidement sous les rayons du soleil. Quelques pédalos en forme de cygne, usés et totalement démodés, voguent paisiblement au gré des amoureux.
Sur un ponton en face de moi, quatre hommes coiffés d’une casquette de marin patientent à côté d’un bateau à deux coques. Quelques passagers s’avancent mais la plupart ont déjà déserté avec l’été. D’autres afflueront bientôt pour kōyō. Leur embarcation, dominant les flots de ses trois étages, est vieillie, bien entretenue, mais son temps est passé à elle aussi.
Une femme, qui pourrait être grand-mère, me sort de mes pensées en me servant mon gyudon. Il est délicieux, le bœuf finement tranché fondant sur ma langue. Le restaurant aussi est un voyage dans le temps : des fauteuils en sky marron, bas sur leurs pieds, siègent devant des tables de bistrot des années 80. En fond sonore, de la musique rock, américaine. Tout est parfaitement propre, bien rangé, comme si rien n’avait bougé depuis des décennies. Aux murs, les photos de cascades ont jauni, et les cartes touristiques sont encore imprimées en bleu et blanc. Au-dessus du réfrigérateur à desserts, un écureuil empaillé me fixe, une petite boîte en bois dans les pattes. Je le regarde, en inclinant la tête sur le côté, comme hypnotisé. Que voudrait-il m’offrir dans cet écrin ? Un gland ?
Dehors, le gros bateau klaxonne : il est l’heure de larguer les amarres. Telles des marionnettes, les marins activent leurs gestes routiniers, répétés invariablement à chaque départ. Sur le chemin goudronné qui longe le lac, une fillette s’essaie au monocycle, et des couples sans âge se promènent langoureusement.
Après mon repas, je déambule dans ce qui semble devenu un musée à ciel ouvert, celui du Japon florissant, du tourisme de masse, mort en 1990 avec la Baburu keiki. Eloigné des grandes agglomérations, les visiteurs sont plus rares, les hôtels, les commerces n’ont pas pu réinvestir. Le lac a retrouvé sa tranquillité, au milieu des montagnes, et seules les portes des sanctuaires – quelques grottes abritant des esprits – paraissent neuves. Un retour à la nature et aux traditions, la simplicité de sourires accueillants, le temps suspendu au silence : le Japon que j’aime profondément.
Alors, j’attends sur un banc mon tour de bateau désuet, pour perdre précieusement mon temps à contempler les forêts qui plongent dans l’eau, et les falaises ocres-rouges qui les surplombent.